Le vent jouait dans les brins d’herbe. Tantôt il les couchait, tantôt il les arrachait. Le pâturage se soumettait aux ordres du vent, aussi bien qu’une fourmi suivait les directives de sa Reine. Voilà plusieurs minutes déjà que je regardais les pâquerettes ployer sous la violence du zéphyr. Je sortis mes griffes – qui ne me servaient que très peu au vue de mon statut – et je transperçai le cœur jaune d’une des plantes. Je la regardai un instant, et m’en défi.
La chaleur s’était faîte rare, et plus les jours passaient, plus le vent se faisait froid. L’été nous avait dit au revoir, et j’accueillais l’automne à bras ouverts. Effectivement, je n’étais pas du genre à aimer me prélasser au soleil pendant de longues heures. Je préférais nettement les majestueux flocons d’hiver, aussi immaculés que mon pelage. Et je me fondais un peu plus dans la masse lors des premières neiges, bien que je détesta les maladies qui s’ensuivaient. J’admirais plus particulièrement les tons dorés de l’automne, et je m’étais toujours demandée comment un si beau dégradé de couleurs pouvait existé. C’était si excitant de voir les saisons passer ! Mais le pire dans tout ça, au vu de mon très jeune âge ( seize petites lunes ) était que je n’avais vu qu’un hiver de ma vie. J’étais née un jour de printemps, et ce serait seulement le second hiver que je vivrais. Cela me faisait tout drôle ! Je souris intérieurement, étonnée par mon esprit légèrement empreint de gamineries.

J’étais dans la Prairie aux Lucioles. Malheureusement pour moi, je ne verrais pas ces magnifiques insectes, car je pensais déguerpir bien avant le coucher du soleil. Eh oui, le soleil ne s’était levé que quelques heures auparavant, et il fallait que je rentre au camp, si jamais il y avait des blessés potentiels. J’avais profité de ma petite escapade pour ramener quelques plantes. Parce qu’il ne fallait pas être fou : même si j’adorais ma tanière avec toutes ses délicieuses odeurs, je commençais à m’ennuyer relativement souvent, surtout en période d’été. Il faisait frais dans ma tanière, mais pendant que le temps le permettait, je remplissais les stocks de plantes. Parce qu’il fallait prévoir un hiver toujours rigoureux, et ce serait vraiment ballot de tomber en panne de plantes. Au pire, je pourrais toujours en demander aux autres Clans, mais je n’aimais pas vraiment devoir des services aux autres…
Surtout que depuis que ma sœur était devenue Chef, je ne voulais lui attirer plus d’ennuies qu’elle n’en avait déjà. Oui, je n’aimais pas que ma jeune sœur soit aux contrôles de mon Clan. D’un côté, elle disposait désormais de neuf vies avant de décéder : c’était vraiment quelque chose de bien. Mais d’un autre, j’avais toujours peur qu’il lui arrive des misères.

Un nouveau bruit coupa net mes pensées. C’était un peu comme un frottement : je me mis à le comparer à un pelage qui glissait le long de brins d’herbe. Je me redressai lentement, mais gardai ma position sur le flanc. Ma queue battait l’air, et je fronçai ce qui me servait de sourcils. Bah tiens, voilà que quelqu’un venait me dire bonjour !

Il avait envie d'aventures, bizarrement.

Parfois, des envies le prenait, il ne savait pas trop comment. Des envies qui, soudainement émergées, venaient se propager dans son esprit et tambourinaient dans sa tête avec résonance, encore plus fort que les battements de son propre cœur, tellement fort qu'il ne pensait qu'à ça, jusqu'à ce qu'il ne cède finalement. Normalement, il se contentait de réfléchir à plusieurs choses en même temps – un peu comme pour s'embrouiller l'esprit -, vu qu'en fait, ses envies subites s'avéraient être des envies de meurtres vis à vis de personnes trop casse pied, ou bien encore des envies de repos alors qu'il devait s'activer. Alors, il se changeait les idées et puis ça passait, tout redevenait normal. Mais dans ce cas ci, c'était trop poussé pour qu'il n'y cède pas, et puis, c'était si différent. C'était nouveau.

Ses pulsations s'étaient constamment augmentées, il bougeait de plus en plus, ne tenant décidément pas en place. Ses petites pattes maladroites martelaient le sol avec insistance, tandis que ses yeux grands ouverts guettaient avidement l'entrée du camp. Tous les chats bien tranquilles et calmes qui l'entourait lui faisait tourner la tête, à marcher lentement et à le regarder d'un œil interrogateur. Son ventre gargouillait, il n'avait rien mangé, sa bouche refusant catégoriquement de se mouver pour n'avaler ne serait ce qu'une bouchée, trop crispée par la fièvre qui envahissait le petit. Pourtant, Nuage du Hérisson n'avait pas faillit lorsque les guerriers s'étaient écartés du chemin, ouvrant presque une allée parfaite vers la sortie. Et puis ses pattes avaient bien réagis à l'appel du cerveau déchainé qui avait ordonné de détaler aussi vite que possible pour ne pas qu'on l'empêche d'aller se balader. De toute façon, discret comme il était, le jeune chat n'avait attiré aucun regard sur lui et avait put se faufiler dehors, sans problème.

Il s'était calmé après avoir franchit la limite du camp, même s'il continuait à courir à en perdre halène. Un léger sourire de satisfaction s'était levé sur ses babines mesquines, et, triomphant, il se disait que cela pourrait être amusant finalement, de se promener en douce sans surveillance et avec pour seul guide, son esprit fou-fou.
C'était heureux et complètement satisfait qu'il avait ralentit l'allure, passant à un trottinement énergique et aérien qui lui convenait parfaitement. Il n'y avait, en cette belle journée, que la brise un peu trop fraiche qui n'était pas à son goût. Le reste, le soleil luisant et le ciel dégagé, le ravissait. Pourtant, il pensait maintenant à toutes ces choses, comme les fleurs colorées et les arbres garnis de feuilles vertes, qui allaient bientôt disparaître sous la cape blanche de neige. La mauvaise saison approchait, oh oui, mais il ne se laissait pas abattre par tout ce qu'on lui racontait ; 'les maladies ne devaient pas être si terribles que ça, et puis les guerriers se débrouillaient bien pour remplir les stock de nourriture'. Oh, si seulement il savait que les hivers étaient rudes et hargneux dans cette région, qu'ils mordaient tout être vivant avec leurs crocs de glace et qu'ils apportaient avec eux les malheureuses maladies mortelles. Mais il était bien ignorant, et, dans sa gaieté enfantine, ne voulait pour l'instant se soucier que du beau temps.

Son regard malicieux avait brillé aux éclats de couleurs qu'offraient la nature dans cette douce matinée, et il avait déjà bien marché que le soleil arrivait à son plus haut point. Pourtant, non surpris par le temps qui passait si vite, Nuage du Hérisson entreprit de faire une halte, car malgré le frétillement qui l'animait, parcourir plusieurs territoires étaient pour le moins... crevant. Donc, haletant, il soupira légèrement en se rendant compte qu'il ne savait absolument pas où il était, mais vu que cela ne lui importait que peu, il chercha et trouva un vaste champ d'herbe, juste à la fin de la forêt. Plutôt satisfait, le jeune chat entra parmi les longues herbes – qui le dépassait d'une tête – et s'arrêta après quelques pas, convenue à se poser à même le sol terreux ; il était au moins à l'abri de la chaleur et d'éventuels prédateurs. Et, trop las pour se mettre à flairer quoi que ça soit, il fit retomber sa tête entre ses pattes, sans méfiance, juste pour être à l'aise.

Tant pis s'il n'avait pas flairé cette odeur étrange venant de derrière lui, tant pis s'il se faisait surprendre. Oh, pauvre petit ignorant.